Lutte contre la fraude au travail détaché : où est la volonté politique ?
Le traditionnel rapport de la Cour des comptes a été publié le 6 février dernier. Comme à l’accoutumée, résultat d’un volumineux travail (souvent méconnu !), les sages de la rue Cambon analysent la situation d’ensemble des finances publiques à fin janvier 2019. La Cour des comptes expose une sélection d’observations suivies de recommandations, mesures concrètes visant à améliorer l’utilisation des fonds publics et l’efficacité des services publics. Les magistrats mettent en exergue des échecs, mais également des progrès et des réussites… Innovation cette année, dans un chapitre spécial dont à lui seul le titre est une synthèse : « La lutte contre la fraude au travail détaché : un cadre juridique renforcé, des lacunes dans les sanctions » il est fait un point exhaustif et critique de la situation des travailleurs détachés en France.
Comme en écho, deux jours plus tard, le Parlement européen publiait le 8 février 2019 son rapport annuel sur la mobilité des travailleurs dans l’Union.
La lecture synoptique des deux rapports aboutit à une conclusion convergente… Quelle volonté politique de lutte contre les fraudes au détachement ?
Le rapport du Parlement de l’Union européenne reprend les chiffres spécifiques aux travailleurs détachés. Parmi les 2,8 millions de détachements enregistrés en tout, environ 1,7 million (soit environ 900 000 travailleurs) ont lieu dans un seul État de l’UE, dont 241 363 en France. Un million de détachements se font dans deux États ou plus (soit 850 000 travailleurs), dont 50 % proviennent du secteur du transport routier de marchandises.
Du seul point de vue français, la Cour des comptes quant à elle pointe les fraudes sur ce sujet et une forme de laxisme dans les contrôles et les sanctions. On le sait le dispositif législatif, depuis 2015, pour lutter contre la fraude a été considérablement renforcé pour lutter contre ceux qui ne respectent pas les règles applicables au travailleur détaché. Ces salariés envoyés en mission temporaire dans un autre État membre de l’Union doivent bénéficier d’un « noyau dur » de droits sociaux minimums du pays d’accueil. Ils ont été 516 000 à être déclarés en 2017 dans l’Hexagone, soit « 2 % de l’emploi salarié total », relate la Cour… Et de souligner l’augmentation du nombre de travailleurs détachés de 7,4 % par an entre 2010 et 2016.
Les types de fraude aux règles existantes sont divers. Cela va de l’omission de déclaration préalable d’un détachement au non-respect du socle de droits inhérents à ce statut – en particulier la durée de travail et les repos hebdomadaires –, en passant par l’organisation de « travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre ou marchandage » via des sociétés boîtes aux lettres.
Si l’arsenal juridique est en vigueur, les corps de contrôle ne disposent pas totalement des outils leur permettant de cibler leurs recherches, de partager les fichiers pertinents et ils sont inégalement mobilisés, explique le rapport. L’OTRE l’a souvent dénoncé ou simplement rappelé. Dans les territoires, les comités départementaux anti-fraude (Codaf) sont à la manœuvre, mais avec une implication inégale selon les départements. Le rapport de la Cour résume brièvement l’activité d’un autre acteur, sous l’égide de la gendarmerie nationale : l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI), créé en 2005. Il a conduit 70 enquêtes depuis 2011. « Plus d’une enquête sur deux concerne le transport (dont la moitié le transport aérien, fluvial ou de voyageurs), un quart est lié à l’intérim et un cinquième au BTP. »
Sans concession, des lacunes sont mises en exergue par le rapport en matière de contrôles URSSAF, de redressement et de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale liées au travailleur détaché par l’organisme responsable, l’Acoss, dont la mobilisation est jugée insuffisante : « Le nombre de contrôles ciblés concernant les détachements de travailleurs ayant débouché sur des redressements est réduit (…) les agents de contrôle ne sont pas tous familiarisés avec le droit particulier applicable au détachement »
Et la Cour de souligner comme une évidence qu’à l’échelle européenne, la « coopération loyale » entre les États est inscrite dans les traités européens. Reste qu’en cette matière, elle n’est pas évidente sur le terrain. Les autorités nationales tardent à répondre aux requêtes d’autres États sur l’affiliation à la sécurité sociale d’un travailleur. C’est apparemment le cas de la France, puisque la Cour des comptes lui demande « d’accélérer son délai de réponse aux demandes d’informations des autres États européens ».
En concluant sur ce point, la Cour des comptes fait huit recommandations. Parmi elles, elle insiste surtout sur les sanctions qu’elle estime aujourd’hui insuffisantes. Elle appelle à des sanctions administratives et pénales renforcées, « notamment en termes de fermeture de chantiers ou d’établissements, et de mise en cause des donneurs d’ordres et maîtres d’ouvrage ».
On le sait, la prochaine échéance reste européenne, avec l’entrée en vigueur, le 20 juillet 2020, de la directive sur le détachement des travailleurs du 28 juin 2018. On est encore loin d’y être… Mais d’ici là, la Cour des comptes rappelle combien les moyens de lutte contre la fraude au détachement existe. La recommandation de la Cour est sans ambages. L’OTRE ne peut que s’inscrire dans cette demande…
La balle est dans le camp de l’État : ça s’appelle la volonté politique !
Philippe BONNEAU