« Mon cher, très cher, carburant… »
S’il était une personne, tout transporteur pourrait débuter le courrier qu’il serait à même d’écrire au carburant, son partenaire incontournable, essentiel et capital de sa vie professionnelle… Mais rien d’affectueux dans l’adresse !
Transporteurs de marchandises, ambulanciers, livreurs, autocaristes, déménageurs tous les professionnels de la route sont touchés par la flambée du prix du carburant à la pompe. Sans compter, bien sûr, les particuliers qui ont besoin de leur véhicule pour se rendre à leur travail. Tous tentent de limiter la casse. Chacun y va de son système D dans la mesure du possible en tentant de répercuter une partie du surcoût sur la clientèle… Les transporteurs ont absorbé une partie de la hausse et répercuté l’autre partie sur la clientèle. Même si, pour certains, le carburant reste toujours un problème, l’inquiétude vient aussi de ce qu’ils appellent « la concurrence des transporteurs étrangers qui roulent 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 avec des prix bien plus bas et pas souvent contrôlés ». Le prix du plein plombe la trésorerie et les portefeuilles. Les professionnels ont déjà exprimé leurs revendications sur les routes. Beaucoup de régions sont épargnées par la grogne. Mais pour combien de temps encore ?
Le transport routier de voyageurs
Avec 65 autocars dont 40 réservés au transport scolaire, cette entreprise autocariste normande est une grosse consommatrice de gazole. « 40 000 litres par mois. Et nous payons comme n’importe quel automobiliste » soit 1,45 € le litre actuellement (…) La forte poussée du prix des carburants affecte notre trésorerie. Car il faut considérer que nous sommes liés par des contrats départementaux avec le conseil départemental tant pour les transports scolaires que pour les lignes régulières, dans le cadre d’une délégation de service public. Ces contrats font l’objet de formule de révision de prix. La dernière a été faite en mai mais n’aura son incidence qu’en septembre. »
Les répercussions financières ne sont pas minces lorsqu’on sait qu’une ligne régulière se traduit par 70 000 à 100 000 kilomètres parcourus chaque année…
Le transport routier de marchandises
Dans le transport de marchandises (TRM), il faut d’abord penser aux tout petits transporteurs, ces patrons chauffeurs qui travaillent dur avec deux ou trois salariés. Ce sont eux qui souffrent en premier de cette flambée. Quant à la situation des entreprises plus importantes, ces dernières font face. Une partie de la hausse est absorbée et l’autre partie est reportée sur la facture du client.
On le sait, dans le TRM les variations de charges de carburant doivent obligatoirement être répercutées, à la hausse comme à la baisse, selon l’évolution du prix du carburant et mentionnées en « pied de facture ». En rigueur de termes et malgré les dispositions des articles L 3222-1 et L 3222-2 du code des transports sur la répercussion des charges de carburant, nombre d’entreprises du TRM n’appliquent pas ce dispositif… Dispositif qui permet que le prix du transport initialement convenu soit révisé de plein droit pour prendre en compte la variation du coût du carburant entre la date du contrat et la date de réalisation du transport.
Or, les enquêteurs des DIRECCTE constatent souvent une hétérogénéité des modalités d’indexation du prix de gazole, dans un contexte de relations commerciales souvent peu formalisées, le rapport de force étant souvent favorable… aux donneurs d’ordre !
Le transport routier sanitaire
Dans le transport sanitaire, même constat d’un prix de carburant qui obère les trésoreries des entreprises du secteur. Mais sans possibilité d’en répercuter le coût sur le prix de service… Les professionnels sanitaires n’ont pas cessé de rappeler cet état de fait aux pouvoirs publics notamment à la CNAM dans le cadre de la négociation tarifaire.
On le voit, quelle que soit l’activité, quel que soit le métier, l’impact du prix du carburant est majeur et déterminant pour la survie d’une entreprise de transport routier. Les outils juridiques existent pour une répercussion de la variabilité des carburants. Mais seul le secteur du TRM est concerné avec une application du dispositif soumis à un rapport de force. Pourtant la loi est la loi… Dans le transport de voyageurs comme dans le transport sanitaire, pas de dispositifs particuliers mais la même pression qui pèse sur l’augmentation des coûts.
La TICPE, une niche fiscale ?!
Dans ce contexte, on le voit, les conclusions du rapport DURON remettant en cause le remboursement partiel de la TICPE, évoquant une « niche fiscale » n’en sont que plus choquantes. L’OTRE a clairement indiqué à la ministre que le remboursement partiel de la TICPE n’était en rien une « niche fiscale ». Il est le résultat de l’instauration d’un gazole professionnel ayant pour objet d’éviter les distorsions de concurrence provenant, notamment, des écarts de taxation des carburants au sein des États membres de l’Union Européenne. Remettre en cause ce principe, comme le propose le rapport DURON, est une ligne rouge à ne pas franchir d’autant qu’il n’existe actuellement aucune alternative mature au gazole.
Il est temps, plus que temps, que s’engage une réflexion avec les pouvoirs publics pour qu’au-delà du TRM, tous les métiers du transport soient concernés par la mise en place d’un carburant professionnel.
Plus que l’équité, c’est la raison économique qui le commande.
Philippe BONNEAU