Ce 8 novembre la Commission européenne a présenté un nouveau dispositif libéralisant le marché de l’autocar interurbain tout en l’assortissant d’un encadrement strict pour la création des nouvelles liaisons. Cette proposition de réforme vient compléter celles du marché du transport de marchandises, présentée le 31 mai 2017.
Cet avant-projet du règlement présente trois mesures majeures :
il propose d’abord la création d’un régulateur fort pour encadrer les liaisons de moins de 100 km ; ensuite il réglemente l’accès aux gares routières pour éviter toutes discrimination entre les opérateurs enfin il lève des freins administratifs en contrepartie de cet encadrement.
L’article 3 de l’avant-projet prévoit la création d’un régulateur indépendant pour le transport routier de passagers. Ce gendarme des autocars doit être :
« Une autorité autonome, qui est, du point de vue organisationnel, opérationnel, hiérarchique et en matière de prise de décision, légalement distinct et indépendant de toute autre entité publique ou privée. Elle doit être indépendante d’un point de vue opérationnel de toute autorité compétente impliquée dans l’attribution de contrats de service public. » Cette autorité doit instruire toutes les requêtes de limitation ou d’interdiction de projets de liaison et rendre une décision dans les deux semaines de sa saisine. Un délai bien plus court que ce qui est prévu en France, où l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) a jusqu’à trois mois pour instruire les saisines…
En outre, le texte dispose que la décision du régulateur peut s’exercer par la contrainte de sanctions à l’aide de « pénalités appropriées, dont des amendes ». Les parties gardant l’opportunité d’une saisine des instances judiciaires nationales…
La lecture de l’article 8 de l’avant-projet est également édifiante :
elle consiste à protéger les contrats de services publics existants, en soumettant les projets de liaisons de moins de 100 km entre deux arrêts à un « test d’équilibre économique » du régulateur, si ce dernier est saisi.
Le même article 8 précise que la saisine du régulateur pourra être faite par « la ou les autorités compétentes ayant attribué le contrat de service public », « toute autre autorité ayant la compétence de limiter l’accès au marché », ou encore les entreprises opérant ce contrat de service public.
Une liaison de 100 km ou plus entre deux arrêts est aussi soumise à autorisation, mais sans possibilité de la limiter « ou de l’interdire » via ce test d’équilibre économique. L’autorité organisatrice a deux mois pour rendre sa décision précise encore l’avant-projet.
Une autre proposition de réforme du texte concerne la régulation de l’accès aux « terminaux », c’est-à-dire les aménagements ou gares routières, pour éviter toute discrimination des opérateurs (article 5a).
L’accès à un terminal « peut être refusé si des alternatives viables permettent aux entreprises d’opérer le service de transports de passagers concerné sur le même trajet ou sur un trajet alternatif dans des conditions économiques acceptables » dispose le projet de nouveau règlement.
Enfin, le texte oblige les États à publier en deux langues, au moins, les règles sur les conditions d’accès aux terminaux, dont « la liste de tous les services fournis et leur prix », les règles de « programmation des allocations de capacités » et le calendrier en cours de ces capacités allouées.
Ces mesures ont reçu un « large soutien », précise la Commission dans la synthèse de sa consultation sur la libéralisation du marché de l’autocar.
En contrepartie de cet encadrement des nouvelles liaisons, la Commission supprime certaines formalités administratives pour entrer sur le marché. Ainsi la feuille de route à détenir à bord du véhicule pour les transports occasionnels (y compris de cabotage), est supprimée. Ces « services réguliers spéciaux et les services occasionnels effectués de manière temporaire » ne requerront donc plus d’autorisation. Par la même occasion, l’exécutif européen lève certaines limitations du cabotage, qui pourra à l’avenir s’effectuer « indépendamment d’un service international » (article 15). Ces services pourront néanmoins être soumis à des contrôles.
Sans doute est-ce là que le bât blesse… L’OTRE s’inquiète et ne peut pas être favorable à cette mesure qui sous prétexte de simplification des services librement organisés à l’international, supprime la feuille de route communautaire (ASOR, INTERBUS ou CEE), seul moyen de contrôle. Quels moyens concrets auront dès lors les corps de l’État pour appréhender l’activité des conducteurs ? L’OTRE encore une fois s’oppose à une mesure qui a l’instar du transport de marchandises, générera du dumping-social et la captation du marché intérieur, notamment des services de tourisme.
Cette inquiétude est d’autant plus grande quand on sait qu’à ce jour, comme le soulignait l’Arafer le 6 janvier 2017, dans sa première enquête sur les pratiques de mobilité des voyageurs des autocars MACRON, les services librement organisés (SLO) ont permis de créer une demande nouvelle de transport… Mais avec des conducteurs rémunérés aux conditions du droit français. Que va-t-il en être demain ? Les dérives sont immanquablement favorisées.
Encadrement accru mais libéralisation à la fois inquiétante. L’OTRE ne cautionnera pas un tel système dangereux où les autocaristes risquent de subir de manière accrue une concurrence déloyale que les métiers du transport de marchandises ont tant de mal à juguler…
Où est cette Europe qui protège ?
Philippe BONNEAU